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guyane

  • Le Nouvel Obs

    Le Nouvel Obs 

    Le Nouvel Obs, c’était autre chose qu’un magazine : un objet familier, rassurant qui avait fini par occuper une place nécessaire dans sa vie, un rendez-vous attendu, obligé, chaque semaine depuis, depuis ? Depuis les numéros au format du magazine du début, celui des années Pompidou et Chaban. Le Nouvel Observateur qu’on n’appelait pas encore le Nouvel Obs ou l’Obs, signait un statut social, des convictions politiques. On se sentait mieux chez qui traînait sur la table du salon le magazine de la semaine, comme à la maison. D’ailleurs, il en avait essuyé des ricanements venus des plus radicaux de ses amis : « un canard de Bobo, des articles illisibles par les gens ordinaires, un mag élitiste, ah elle est belle la gauche Propriétés et Châteaux ! »

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    Il ne savait pas si c’était le magazine qui était à son image ou l’inverse, en tout cas il y voyait une vraie correspondance, un télescopage heureux. Il en attaquait la lecture avec un rituel immuable qu’une hiérarchie déterminée conduisait de l'Édito de Jean Daniel, à la plume de Robert Franck. Il dévorait les articles de Société d’Yvon le Vaillant, les  pages Culture, s'émerveillait des prédictions de Dominique Nora qui nous annonçait avec force détails, dès les années 80, la Révolution des Autoroutes de l'Information. En revanche, il se détournait des pages Economie et survolait, toujours avec légèreté, la rubrique Mode de Mariella Righini. Longtemps, le journal s’ouvrit tout seul, offrant à son impatiente curiosité la chronique de Françoise Giroud.

    Lorsqu’il apprit son décès dans la moiteur d’un petit matin guyanais, ce fut spontanément qu’il envoya un mail à la rédaction de l'Obs. Spontanément, c’est dire guidé par l’émotion mais avec le désir d’écrire à hauteur de la personnalité de Françoise Giroud. Qui était-il pour s’essayer à faire entendre sa voix ? Qu’importe, il envoya son hommage ; s’il le trouve à présent un brin emphatique, il en conçut quelque orgueil quand il le vit imprimé sur le numéro qui suivit, fiérot aussi du chapeau, jusqu’à la virgule, que le rédacteur lui avait emprunté : « Merci, Madame ».

    Nouvel Obs du 22 au 29 janvier 2003

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  • La photo manquée - Maripasoula

    À chaque voyage sa photo manquée, où que ce fût, quel qu’en fût le sujet, c’eût été la plus belle, la plus forte, la plus difficile aussi.

    Maripasoula, quelque part dans l’ouest guyanais, à la frontière du Surinam.

    11h, le fromager tristounet, à l’écorce de peau d’éléphant, m’abrite du soleil. Accroupi à son pied jonché de canettes Heineken, j’attends une place dans une pirogue. Chaleur.

    La voix d’un journaliste surgit d’un des quatre auto-radio du village:
    " Des millions de français sont devant leur écran bleu... La gueule des anglais " ... Et moi et moi et moi avachi sur les berges du Maroni qui ai préféré l’aventure à l’inéluctable défaite française.
    Une négresse Boni dissipe mon regret de ne pas voir le match : immergée jusqu’à mi-mollet dans le rouge-brun du courant paresseux, courbée à l'équerre - position orthodoxe de la lavandière du fleuve - elle s’offre mpudiquement en spectacle.

    Mon but : glisser jusqu’à Papaïchton-Pompidou, à une heure de pirogue de là. L’interminable attente passe inaperçue tant la langueur accable les gens occupés à ne rien faire et ralentit les gestes des seuls actifs, les piroguiers bushinengés ou brésiliens.

    Enfin une pirogue, partagée avec quatre métros. 800 F, “ esta bon “, rendez-vous avec le brésilien dans deux mi-temps de rugby. Je fonce chez Dédée, tenancière de l’épicerie-boui-boui : France-All-Blacks à Maripasoula... Malgré la déconfiture annoncée ça ne manque pas d’allure ! L’exaltation retombe quand on m’explique qu’on ne reçoit pas TF1 à Maripasoula.

    Déçu mais pas vaincu... je flâne dans les rues de terre pentues , je marche devant moi, libre, l’oeil passé au papier-verre, prompt à débusquer l’image.

    De retour à l’embarcadère à l’heure dite, personne, pas trace de métros ni de takari brésilien.
    L’attente à nouveau, à nouveau sans fin.

    J’observe le manège d’hommes chargés de packs de bières s’entassant dans leur frêle esquif.
    Un jeune Boni, boule à zéro et bec doré, m’invite à les rejoindre : c’est non à la pirogue ivre qui
    finit par s'ébranler au rythme des tambours : instant magique.

    Depuis un moment, intrigué par le va-et-vient des pirogues et les ablutions des indigènes, je m’oublie et le Maroni m’aspire dans son immuable et impétueux courant drainant la vie sur plus de 300 km jusqu’à Saint Laurent. Silence le monde.

    Plus de France-All-Blacks, que de l’Amazonie : l’Aloukou ou le Taki-Taki. Là-bas, dans la rue centrale, piste de latérite, une femme apparaît, elle semble handicapée, sa silhouette diaphane à la démarche gauche mais fine s’avance dans la trouée exubérante de la végétation.

    Très vite, je me rends compte qu’elle porte une jeune enfant.
    Zoom avant.
    Elle : si noire dans une robe trop noire qu’éclaboussent des lapis-lazuli largement cerclés d’or, un sourire radieux et de grands yeux éclatant d’un bonheur évident, simple comme la vie qui l’entoure.
    La fillette : je ne vois que sa robe, rouge vif tacheté de blanc sur le noir d’ébène de sa mère, ses nattes multicolores et sa dentition éblouissante.
    Toutes deux inondées de soleil, inondées de nature : les capter sur l’ocre rouge de la piste et sous
    le vert-bleu de la forêt : léger zoom arrière, Ektar 50 pour le concours PHOTO. Mais je n’ai pas shooté
    alors que tout y était...

    Le lendemain contre toute attente je me retrouverai à Elahé chez les Indiens Wayana à trois heures en amont de Maripasoula et j’apprendrai par l’homme qui le tient de l’homme qui connaît l’homme qui a écouté Radio France International que le monde de l’ovalie bleu-blanc-rouge, comme le drapeau de la gendarmerie fièrement dressé face au Surinam, avait triomphé du monstre Néo-Zélandais...
    Au diable le match ! Mon unique regret est de n’avoir pas shooté alors que tout y était...